dimanche 12 janvier 2014

Etudier dans un café: sociologie de comptoir

Je n'ai jamais particulièrement aimé travailler dans un café. A Paris, je me sentais toujours coupable de rester des heures en n'ayant commandé qu'un thé ou un chocolat. Je sentais les allers et venues du serveur autour de moi, ses regards réprobateurs, et de temps à autres un "vous désirez autre chose mademoiselle ?" s'abattait sur moi avec un air accusateur.
Si ce n'était pas le serveur, c'étaient les clients qui lançaient ces regards de reproche dans un starbucks bondé où vous osez occuper une table pour deux alors que vous êtes seule. Il ne fait pas bon être seule à Paris, la ville des amoureux, la ville où tout se fait à deux. 


Mais à Tokyo, je me sens libre de rester des heures, surtout quand des espaces sont spécialement agencés pour ceux qui veulent travailler.
Et le fait d'être seul au Japon n'est pas mal vu. A tel point que certains espaces urbains sont aménagés pour les gens qui sont seuls. Par choix ou non, la question n'est pas là. Prendre un café ou manger seul s'est banalisé dans la société, c'est socialement acceptée par celle-ci.


Et ça me laisse tout loisir de rester des heures, à rêvasser et observer mes contemporains, entre des temps de travail. Ma pause à moi.

Dans l'espace de travail, on y voit de tout: des lycéens, des universitaires mais aussi des salariés, venus remplir un dossier ou tout simplement venu lire un livre.


 Les étudiants, quelque soit leurs niveaux, sont généralement concentrés. Ils sont souvent venus seul ou à deux, rarement à plus. Ils sont bien sérieux, interrompent peu leurs besognes pour bavarder.
Je suis assez impressionnée, puisque me concernant je ne peux m'empêcher d'interrompre mon travail pour faire un commentaire sur ce sur quoi je travaille. C'est plus fort que moi, il faut que je partage maintenant mes pensées. Après, ça sera trop tard, après, ça sera un autre moment, une autre idée, un autre temps.


Je suis toujours émue de voir des salariés au Japon venir se réfugier dans un café quand on connait le système professionnel et leurs horaires.
Alors quand je vois un salaryman avec un livre à la main, mon coeur se remplit de joie.
Je ne sais pas dans quoi il travaille, je ne connais pas sa position, mais le voir assis là, au milieu du brouhaha, concentré sur son livre, je me dis qu'il est venu chercher quelques minutes paisibles, qui ne seront qu'à lui, avant de retourner peut-être à une deuxième vie bien occupée, où l'attend une femme et des enfants et les devoirs familiaux qui vont avec.
La vue d'un livre m'a toujours réconforté. Avec l'idée, que, quelqu'un qui aime la lecture ne peut être mauvais.


Et il y a les étrangers, immédiatement repérables: ils parlent trop fort, sont beaucoup plus démonstratifs et leur anglais détonne dans cet univers japonais. On se regarde, on essaie de deviner la nationalité de l'autre à coup d'indice: la langue du livre lu, l'accent de l'anglais, le nombre de langues mélangées dans une discussion. J'aime bien savoir de quoi ils parlent. Parfois l'air de rien j'écoute ce qu'ils disent.

Il y a les gens tous seuls. Des hommes seuls, des femmes seules.
Si une femme seule peut facilement se faire aborder dans un café parisien, il y a peu de chances que cela arrive au Japon. Alors l'attitude féminine diffère un peu. Pas de barrière de protection sociale, pas de regard fuyant. On bouquine un livre, on travaille sur son ordinateur, on écoute de la musique.

Et puis il y a les couples. Les couples au Japon ne se distinguent pas au premier regard. Comme dans beaucoup de pays d'asie, les couples ne sont pas démonstratifs en public: on ne se tient pas la main, on ne s'embrasse pas, on ne se pelote pas en se disant qu'on ferait mieux d'aller dans une chambre d'hôtel comme cela arrive tant sur les trottoirs parisiens.
Alors j'aime bien deviner: sont-ils amis ou ensemble ?

Parfois il y a de jolies histoires, comme ce couple, composé de deux nationalités différentes, oscillant entre la pudeur requise au Japon et cette envie de toucher l'autre, si particulière au désir et/ou à l'amour, je ne saurais jamais.
Ca nous lance des regards en coin de temps en temps, puisqu'ils voient bien que mon ami  et moi ne sommes pas 100% japonais et qu'il nous arrive de mélanger trois langues dans une même phrase.

De temps en temps, chacun se plonge dans son Iphone et le silence s'installe. Je me demande ce qui peut être plus intéressant à voir que le visage de son amoureux: un nouveau like sur facebook? Un nouveau tweet? Instagrammer son café? Et puis, avant que j'ai pu trouver une réponse, hop, c'est reparti pour une discussion entrecoupée par des baisers.

Ou ces français qui ne se connaissaient pas avant et qui découvrent qu'ils parlent la même langue. Elle, a un japonais parfait et je la soupçonne d'avoir grandi ici et d'être allée à l'école franco-japonaise. Eux, ne sont arrivés qu'il y a peu et prennent des cours de langues dans un centre, pas très loin du café. Ca s'échange les numéros et promet de se revoir.

Et puis, il y a mon pote et moi, au milieu de cette foule. Il y en a sûrement qui nous ont observés et qui se sont demandés si nous étions un couple, d'où nous venions, quelles étaient nos nationalités et sur quoi nous travaillions.
Nous aussi, on a donné un peu de nous, au milieu d'une foule.

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